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Transflash Mars - Avril 2016 (n°404)

Le DEEM est le Diagnostic Énergie Émission des Mobilités. Cette démarche proposée par l’Ademe, le Cerema et l’Ifsttar vise à estimer les impacts environnementaux de la mobilité quotidienne d’un territoire, en se fondant sur les caractéristiques recensées dans les Enquêtes Ménages standard Certu (Enquêtes Ménages Déplacements - EMD et apparentées).

EDGT du Grand Amiénois 2010
EDGT du Grand Amiénois 2010
© Agence de développement et d’urbanisme du Grand Amiénois

L’objectif du DEEM est d’améliorer les politiques environnementale liée aux mobilités. Dans cet esprit, pour produire une information qui soit accessible et utilisable par tous les acteurs locaux et donner ainsi du sens à leurs actions, le développement méthodologique s’est co-construit avec des collectivités pilotes. Leurs retours d’expériences ont permis d’orienter la démarche. Les utilisateurs du DEEM dans ces 3 collectivités pilotes témoignent.

Dans les travaux que vous menez, à quoi vous ont servi les résultats produits par le DEEM?

Agnès Descamps : Pour le moment, les données du DEEM ont été utilisées pour diffuser la connaissance, pour sensibiliser et pour évaluer.

© EMDGT Calvados 2011, 11 ans +
© EMDGT Calvados 2011, 11 ans +

Elles alimentent ainsi la plaquette de présentation des principaux résultats de l’enquête et les états des lieux des plans locaux d’urbanisme intercommunaux en cours d’élaboration dans le Grand Amiénois. Elles ont été exploitées pour sensibiliser les élus du territoire au lien entre l’urbanisme, les pratiques de déplacements et la consommation de carburant. En collaboration avec l’Ademe, elles nous ont permis de construire un modèle simple pour évaluer les impacts en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de différents scénarios du plan de déplacements urbains d’Amiens Métropole.

Xavier Lepetit : L’enrichissement de l’enquête ménages déplacements sur le grand territoire du Calvados avec les données DEEM a permis en premier lieu de compléter le dispositif d’observation territoriale avec de nouveaux indicateurs. Elles ont aussi servi à mieux faire connaître les conséquences de nos comportements de mobilité en termes d’émissions de GES. Nous avons ainsi réalisé une étude spécifique sur les consommations énergétiques et émissions des habitants du Calvados dont les résultats ont été partagés en 2015 lors d’une conférence intitulée « Les rendez - vous de l’Agence d’Urba au Pavillon ».Le pavillon étant un lieu dédié à la pédagogie en matière d’urbanisme et d’architecture en direction du grand public.
Les données DEEM ont également permis d’évaluer le coût socio - économique des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l’élaboration du compte déplacements de l’agglomération caennaise. Elles ont aussi alimenté les diagnostics de territoire des EPCI membres de l’agence. Elles serviront demain à la révision des différentes démarches de planification (SCoT, PDU) en cours.

Répartition des déplacements et des émissions de GES selon le type de flux
Répartition des déplacements et des émissions de GES
selon le type de flux - 
© Agence d’urbanisme de la région Grenobloise

Isabelle Reynaud : Les données DEEM sont un outil précieux pour mettre en évidence et hiérarchiser les enjeux des politiques de mobilité au regard de leurs impacts environnementaux.

Elles sont en mesure d’enrichir l’évaluation environnementale des démarches de planification telles que le PDU ou le PCET. Elles ont notamment permis d’établir des diagnostics quantifiés des émissions de polluants occasionnées par les déplacements des habitants de la région grenobloise et de les relier aux facteurs explicatifs de la mobilité (forme urbaine, démographie…). Il a ainsi été possible d’évaluer les impacts environnementaux de la mobilité des habitants selon leur territoire de résidence ou leur profil socio - économique.

Les principaux résultats des analyses DEEM ont été diffusés par l’intermédiaire d’un « Zoom EMD ». Ces publications, réalisées par le club des partenaires de l’EMD de la grande région grenobloise, sont accessibles au grand public sur le site de l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise : www.aurg.org.

D’après vous, quels ont été les résultats les plus marquants ou intéressants sur votre territoire?

Agnès Descamps : Le croisement des données du DEEM avec la typologie des communes définie dans le schéma de cohérence territoriale donne des résultats intéressants. Par exemple, pour réaliser l’ensemble de ses activités quotidiennes, un habitant d’une commune rurale parcourt, en moyenne, 31 km par jour et consomme l’équivalent d’1,5 l de gazole, alors qu’un habitant d’un pôle ou de l’agglomération amiénoise parcourt des distances nettement plus courtes et consomme moins de carburant (jusqu’à deux fois moins). Ces résultats sont particulièrement utiles pour expliquer aux élus que leurs choix de localisation des futures zones d’habitat auront des impacts sur les émissions de gaz à effet de serre, les consommations de car- burant et les budgets transport des futurs habitants.

Emission individuelles quotidiennes de GES selon l'âge
Emission individuelles quotidiennes de GES selon l’âge
© Agence d’urbanisme de la région Grenobloise

Xavier Lepetit : Pour nous, le résultat le plus marquant a été de chiffrer les conséquences environnementales de la forte péri- urbanisation du territoire et de montrer l’impact de la déconnexion des lieux d’habitat par rapport aux lieux d’emplois et de vie quotidienne centrés sur l’agglomération. Aujourd’hui, un habitant du cœur métropolitain caennais émet deux fois moins de gaz à effet de serre par jour qu’un résident périurbain.

Les données DEEM ont également mis en exergue le poids considérable de l’automobile dans le système de mobilité, notamment au regard des émissions de polluants. L’automobile est à l’origine de 93 % des émissions de gaz à effet de serre, pour 67 % des déplacements des résidents du Calvados.

Isabelle Reynaud : Deux constats sont apparus particulièrement marquants et viennent directement interroger les politiques d’aménagement du territoire et les politiques de mobilité.
Le premier constat concerne la contribution aux émissions de polluants des flux d’échanges entre la métropole grenobloise et les territoires périurbains. Si ceux - ci représentent seulement 10 % des déplacements, ils concourent pour 40 % aux émissions de polluants générées par la mobilité quotidienne des habitants. Ce type de flux est désormais identifié comme une cible privilégiée pour une politique offensive de report modal.

EDGT du Grand Amiénois 2010
EDGT du Grand Amiénois 2010 - © www.grandnord.fr

Le deuxième constat est sociologique. Il est apparu que, malgré l’évolution de l’image de la voiture auprès des jeunes générations, il se produisait toujours un basculement dans les comportements à l’âge de 18 ans. La distance moyenne quotidienne parcourue augmente alors de 6 %, tandis que les émissions de polluants sont multipliées par 2,7, du fait du changement de mode de transport. Cela nous a montré que la sensibilisation des jeunes, au moment de la prise progressive de l’autonomie, demeure un enjeu important.

De votre point de vue, comment les acteurs locaux ont accueilli ces résultats?

Agnès Descamps : L’appropriation des résultats n’est pas aisée. Les notions d’émissions de gaz à effet de serre en grammes - équivalent CO 2, de consommation en gramme - équivalent pétrole sont difficiles à appréhender pour le technicien comme pour l’élu. La conversion des résultats du DEEM en « litre- équivalent gazole » ou « coût de carburant en euros » permettent de rendre ces résultats plus compréhensibles et appropriables.

La plupart des résultats sont des moyennes qui ne reflètent pas la réalité des pratiques des habitants mais qui ont un intérêt pour comparer des territoires entre eux.

Comparaison des déplacements de moins de 1 km faits à pied et en voiture dans le Calvados
Comparaison des déplacements de moins de 1 km faits à pied et en voiture
dans le Calvados - 
© Aucame 2015, EMDGT Calvados 2011

Xavier Lepetit : La diffusion des résultats au cours d’une conférence grand public nous a obligé à un effort de pédagogie et d’explicitation des résultats, qui a du coup bénéficié à nos études et publications à destination des acteurs locaux. Cet effort de pédagogie a été d’autant plus nécessaire qu’il n’y avait pas de véritables attentes vis - à - vis de ces problématiques. Utiliser des indicateurs d’impacts rend plus « concrètes » ces données. Ainsi la monétarisation des coûts externes (notamment liés à la santé) engendrés par les transports à partir des données DEEM a permis de mieux sensibiliser les élus aux enjeux environnementaux et de santé publique.

Pour accéder à l’étude : www.aucame.fr

Isabelle Reynaud : Les analyses ont suscité un fort intérêt dans les démarches d’évaluation environnementale et du PCET. Au préalable, un important travail d’analyse et de vulgarisation a été mené, puis partagé au sein du club des partenaires de l’EMD, pour rendre ces résultats appropriables. Ils ont également été croisés avec les analyses menées par l’Observatoire Régional de la Qualité de l’Air, afin de mettre en évidence les complémentarités entre les outils et la convergence des résultats.

Le DEEM

Comment est née la démarche DEEM?
Le DEEM (Diagnostic Energie Emission des Mobilités) est une démarche multi partenariale associant l’Ademe, le Cerema et l’Ifsttar. À l’origine, le pari méthodologique de relier les comportements individuels de mobilités, mesurés via les Enquêtes Ménages Déplacements, aux impacts environnementaux associés, vient du monde de la recherche. Les premières expérimentations menées par l’IRT (ancêtre de l’Ifsttar) datent de la fin des années 70. Aujourd’hui, le diagnostic opérationnel qui est proposé vise à aider les collectivités dans l’évaluation de leur politiques de mobilité et d’aménagements (PDU, SCoT, PLUi, PCET…). Pour en arriver là, la méthodologie, côté recherche, a évolué en intégrant d’abord les questions énergétiques (la décennie 70 correspond aux premiers chocs pétroliers) puis les questions de qualité de l’air dans les années 90 à l’Inrets et enfin les enjeux de réchauffement climatique dans la première décennie 2000 en associant le Cete Nord-Picardie [1] pour revisiter le cas Lillois. Par la suite, une phase d’expérimentation et de standardisation impliquant notamment trois territoires pilotes ont permis d’aboutir à la démarche actuelle.

En quoi consiste cette démarche ?
Le DEEM permet deux niveaux d’analyses différents : le « DEEM résident » qui concerne la mobilité des habitants d’un territoire y compris leur mobilité hors périmètre d’étude et le « DEEM territoire », qui touche l’ensemble des déplacements, voyageurs comme marchandises sur un périmètre d’étude. Pour l’ensemble de ces mobilités, le DEEM permet de réaliser le bilan le plus précis possible des consommations énergétiques et des émissions de polluants liées à l’ensemble de ces mobilités. Afin de réduire les impacts environnementaux des transports, il faut comprendre la mobilité dans son ensemble : qui se déplace ? avec qui (accompagnement / partage…) ? pour quoi faire? comment ?… La mobilité ne peut se résumer à des trafics ou des flux de personnes ou de marchandises qu’il faudrait réguler pour atteindre des niveaux souhaitables en termes d’impacts sanitaires. C’est dans cette logique que depuis 2014, le Cerema Nord - Picardie enrichit systématiquement toutes les Enquêtes Ménages standard Certu (EMD, EDGT, EDVM) des données DEEM selon une même méthode. L’objectif du DEEM est, d’autre part, d’améliorer les politiques environnementales liées aux mobilités. Il est donc important de travailler à produire une information qui soit accessible et utilisable par tous les acteurs locaux et de donner ainsi du sens à leurs actions. Pour ce faire, le développement méthodologique s’est co-construit avec des collectivités pilotes. Leurs retours d’expériences ont permis d’orienter la démarche.

Où en êtes - vous aujourd’hui et quelles sont les prochaines étapes?
Aujourd’hui, le « DEEM résident » fonctionne bien et le Cerema Nord - Picardie a déjà enrichi plus de 14 enquêtes ménages déplacements sur les deux dernières années. Une journée nationale d’échanges, organisée par l’Ademe, le Cerema et l’Ifsttar a eu lieu en septembre 2015 et de nouveaux territoires se mettent à exploiter ces données. L’année qui vient va d’abord être consacrée aux retours d’expériences afin de voir si des besoins spécifiques émergent notamment en termes d’analyse. La base de données ainsi constituée devrait d’ici environ deux ans pouvoir éclairer les débats actuels sur des questions de formes urbaines, de technologies et d’offres de transports en s’appuyant sur des chiffres fiables et standardisés. A moyen terme, nous allons poursuivre les travaux commencés sur le transport de marchandises.

Comment doivent s’y prendre les collectivités qui s’intéressent à la démarche?
La démarche DEEM repose sur les enquêtes ménages standard Certu. Les données DEEM sont incluses, par le Cerema Nord - Picardie,
dans les enquêtes récentes (depuis 2013), en cours ou à venir. Leurs maîtres d’ouvrage reçoivent automatiquement les estimations DEEM dans les fichiers d’enquêtes qui leur sont livrés ainsi qu’une exploitation standard de celles-ci. Par la suite, les collectivités peuvent envisager des analyses complémentaires selon leurs propres besoins.


+ Pour en savoir plus : www.territoires-ville.cerema.fr
Contacts Cerema : Damien.Verry@Cerema.fr - Fabrice.Hasiak@Cerema.fr
Contacts Ifsttar : Laurent.Hivert@Ifsttar.fr – porteur du programme de recherche Betti  (bilans environnementaux transports dans les territoires intégrés, Ifsttar pour l’Ademe, 2011 - 2015) (Accéder au rapport de recherche Betti par le site de l’Ifsttar (chercher «betti»))